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Article publié le 05/01/2022
Mis à jour le 05/01/2022

Alexandre Dumas : de Villers-Cotterêts au Panthéon, une vie de romans

Indéfectiblement lié à sa ville natale et à la région qu'il aimait passionnément, Alexandre Dumas a construit sa vie à l'image de son œuvre.

Il y aura tout juste 20 ans à la fin de cette nouvelle année, Alexandre Dumas entrait au Panthéon. L’ami de Victor Hugo et de Garibaldi, l’écrivain français le plus lu au monde et le plus adapté au cinéma, l’homme engagé aussi, qui participa aux révolutions de 1830 et de 1848 quittait ainsi, le 26 novembre 2002, le petit cimentière de Villers-Cotterêts où il reposait pour accéder à l’Universel.

Chacun connait l’œuvre de Dumas. Ce que l’on sait moins, c’est qu’au terme d’une vie d’aventures, l’auteur des trois mousquetaires, du comte de Monte Cristo ou de la Reine Margot a écrit ses pages les plus personnelles et, dit-on, les plus belles, pour affirmer l’amour qu’il portait à sa ville natale et à sa région : "Je l’aime, mon beau pays, mon cher village ! C’est là que j’ai ramené ma mère morte, c’est dans ce charmant cimetière qui a bien plus l’air d’un enclos de fleurs à faire jouer les enfants que d’un champ funèbre où coucher les cadavres, qu’elle dort côte à côte avec le soldat du camp de Maulde et le général des Pyramides. C’est là enfin que j’irai dormir à mon tour, le plus tard possible… ", écrit-il à la fin de sa vie dans ses mémoires.

Fils d'un esclave vendu puis racheté par son père aristocrate

Alexandre Dumas vient donc au monde le 24 juillet 1802 à Villers-Cotterêts, dans une jolie petite maison aux volets blancs située au 46 de la rue Lormet. La rue s’appelle depuis rue Alexandre Dumas et la maison, toujours là, appartient aujourd’hui à un propriétaire privé.

Alexandre est le fils de Marie-Louise Labouret, qui tient une auberge, et de Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie dit "Général Dumas ". À elle seule, l’histoire de ce père, général de la révolution qui participa à la campagne d’Égypte de Napoléon aurait pu devenir un roman. De l’aveu même de Dumas, c’est lui, son père, qui a d’ailleurs inspiré ses grands personnages héroïques et intrépides, à commencer par Porthos dans les Trois mousquetaires.

Né à St Domingue en 1762 de l’union clandestine d’un aristocrate et d’une jeune femme noire, cet homme a en effet été vendu par son père comme esclave, avant d’être racheté des années plus tard par ce même père qui, pris de remord, le fit venir en Normandie pour l’éduquer dans la plus solide tradition militaire. Il embrasse alors une brillante carrière. En sept ans, pendant la révolution, il passe de soldat du rang à général proche de Bonaparte et héros de la campagne d’Égypte… Et c’est en 1801, retiré de la carrière et souffrant, qu’avec sa femme il décide de s’installer dans l’Aisne, à Villers-Cotterêts, où un an plus tard naitra Alexandre.

Mauvais élève épris de liberté

"Je suis né à Villers-Cotterêts, petite ville du département de l'Aisne, située sur la route de Paris à Laon, à deux cents pas de la rue de la Noue, où mourut Demoustier, à deux lieues de la Ferté-Milon, où naquit Racine, à sept lieues de Château-Thierry, où naquit La Fontaine ", écrira Dumas en prologue de ses mémoires, témoignant une fois encore de son attachement à sa ville et sa région natale.

Alexandre est âgé de seulement quatre ans lorsque son père disparait. Il sera ainsi élevé par sa mère, seule et dans le culte du souvenir héroïque de la figure paternelle. À l’école de Villers-Cotterêts, puis au collège de l’Abbé Grégoire où se mère se sacrifie afin de pourvoir à son éducation littéraire, Alexandre ne brille pas. Assez mauvais élève et totalement insensible à l’enseignement des lettres, il préfère l’action et, fidèle au souvenir de son père rêvé, l’art de manier les armes. La famille est aussi en proie à des difficultés financières.

Alexandre trouve alors, à 14 ans, un petit emploi pour le compte d’un notaire républicain de Villers-Cotterêts. Il s'y ennuie mais une rencontre sera déterminante, et le réconciliera avec la littérature, jusqu’à en en faire la grande passion de sa vie. Celle d’un jeune homme de son âge, épris de liberté et d’idéal, Adolphe Ribbing de Leuven. Passionné de théâtre, de grivoiserie et d’amour des femmes (l’autre grande passion de Dumas), c’est lui qui initie vraiment le jeune Alexandre aux grands textes. Non pas de façon rhétorique comme au collège, mais de façon vivante, incarnée, truculente même, par le théâtre.

À la conquête du tout Paris

Comme beaucoup de jeunes provinciaux, "il monte" alors à Paris. Alexandre veut dévorer la vie. Il fréquente les salons littéraires dans lesquels il se vante de ne rien lire tout en récitant par cœur des centaines de vers d’auteurs romantiques et révolutionnaires à la mode. Il séduit beaucoup. Et il écrit aussi, essentiellement du théâtre. Soutenu par des femmes influentes dans les milieux artistiques, il voit alors une de ses pièces programmée à la Comédie Française : Henri III et sa cour. En une soirée, ce 10 février 1829, la vie de Dumas bascule. Bouleversant tous les codes, véritable manifeste d’un nouveau romantisme un an avant Hernani, sa pièce fait un triomphe et propulse Alexandre Dumas vers la célébrité dans le tout Paris littéraire et mondain. On s’écharpe à son propos et, dans cette période de bouleversement esthétique, il clive par sa modernité.

Acteur de la révolution de 1830

Amoureux de la liberté et auréolé de sa nouvelle gloire, Dumas s’implique alors dans la révolution de 1830, qui verra, pendant trois jours (d’où son nom des 3 glorieuses), se soulever le peuple de Paris contre le roi Charles X pour le rétablissement de la République. Cet épisode se soldera en fait par l’établissement de la Monarchie de Juillet, mettant un terme aux idéaux républicains et, sur le plan artistique, affirmant le retour au classicisme contre le romantisme.

De fait, ce retour en arrière sera fatal à Alexandre Dumas qui, passé de mode et ayant dilapidé en fêtes somptueuses ses confortables revenus, se voit contraint de repartir de zéro. Alors il voyage, change à nouveau de vie, se lie d’amitié avec Châteaubriand et Victor Hugo (qu’il rejoindra plus tard à Guernesey pendant son exil). Il veut se nourrir d’expériences nouvelles. Il se met aussi, enfin, au roman, genre qui assurera sa gloire et à nouveau des revenus réguliers grâce à leurs publications en feuilletons dans des journaux. Les Trois mousquetaires, le comte de Montecristo et la Reine Margot sont, encore de nos jours, des best-sellers mondiaux. Dumas innove aussi en employant des collaborateurs et des documentalistes, transformant son activité d’auteur en petite industrie d’édition.

Il entre dans Naples aux côtés de son ami Garibaldi

Dumas est aussi un humaniste. En 1848, il épouse la cause de la révolution de février contre Louis Philippe et qui verra la proclamation de la IIe République par un certain Alphonse de Lamartine, alors député. Pour Dumas, les portes de la politique s’ouvrent. Mais celle-ci achèvera de le ruiner. Mobilisé sur la campagne électorale pour devenir - en vain - député de l’Yonne, il arrête de travailler. Les journaux qui publient ses feuilletons cessent leur parution et dans le même temps, son épouse le poursuit pour obtenir une importante pension alimentaire. Ses biens sont saisis. Il est cerné par les créanciers… Mauvaise passe.

Avec son fidèle ami Victor Hugo, dont il partage les options politiques et la dénonciation du coup d’état de Napoléon III, Dumas s’enfuit alors à Bruxelles, où il trouve un peu de répit. Mais en 1860, coup de théâtre ! Dumas décide de partir en Italie pour rejoindre l'armée de son ami Garibaldi, qu’il admire et dont il a traduit les mémoires. Il vend alors tout ce qui lui reste de biens pour l’aider à acheter des armes. En 1861, il défile à ses côtés pour entrer triomphalement dans Naples. Dumas sera alors nommé... Directeur des fouilles de Pompéi ! Encore une autre vie. Elle durera trois ans.

À Villers-Cotterêts qu'il aimait tant aux côtés de ses parents

C’est à Paris, ruiné et malade, que Dumas passera les dernières années de son existence, auprès de sa fille. N’admettant jamais son état et cultivant son propre mythe, il achève tant bien que mal le dernier ouvrage qui sera publié après sa mort : un grand dictionnaire de cuisine, comme un dernier hommage à la vie et aux plaisirs. Aux termes d’une vie de roman d’aventures, il s’éteint le 5 décembre 1870 près de Dieppe dans la maison de vacances de son fils Alexandre (dit Dumas fils), l’auteur à succès de la Dame aux Camélias. Comme il en avait expressément manifesté le désir, son corps sera transféré deux ans plus tard à Villers-Cotterêts, aux côtés de sa mère et de son père. À la fin de l'année 2002, il entrait au Panthéon.