Mis à jour le 17/06/2021
Nos langues régionales
Les Hauts-de-France comptent deux langues régionales : le picard (souvent dénommé « Chti ») et le flamand occidental.
De par son héritage linguistique, la région Hauts-de-France se situe à la limite entre le domaine des langues romanes (issues du latin) et celui des langues germaniques (allemand, néerlandais, suédois…). Le picard appartient au premier groupe, tandis que le flamand occidental se rattache au second.
Le Picard
Langue belgo-romane, le picard s’est singularisé dès le Vème siècle au sein des parlers de la France du nord : c’est l’époque où le « cat » ou « cot » picard commença à se différencier du « chat » français. À la fin du IXème siècle, la Cantilène de Sainte Eulalie, l’un des tous premiers textes écrits en langue vulgaire (conservé à la bibliothèque de Valenciennes), comportait des formes identifiables comme picardes : « cose » pour « chose », « diaule » pour « diable ». Le picard devint une grande langue littéraire (scripta) entre le XIIIème et le XVème siècle, avec des auteurs comme Adam de la Halle et Jean Bodel (Arras), Froissart (Valenciennes), Robert de Clari (Cléry-sur-Somme près de Péronne), ou encore la chantefable anonyme Aucassin et Nicolette. Ce fut aussi, dans les grandes villes du Nord, la langue d’administration et de régulation sociale.
Le picard est une langue proche du français, mais ce n’est ni un patois, ni un dialecte du français : les sociolinguistes parlent de « langue collatérale ». Il possède une phonétique, une grammaire et un vocabulaire originaux, auxquels on peut s’initier par exemple dans le Dictionnaire français-picard publié par l’Agence Régionale de la Langue Picarde.
Le picard est parlé traditionnellement dans une grande partie des Hauts-de-France, y compris dans le versant nord où il est souvent dénommé « Chti » ou « Chtimi » (sobriquet donné pendant la 1ère Guerre Mondiale aux Poilus du Nord, en référence aux mots picards « chti » [celui], « ti » et « mi » [toi, moi] qui ponctuaient leurs conversations). Il est également la langue régionale du Hainaut occidental en Belgique. Selon une enquête de l’INSEE en 1999, entre 10 % et 27 % de la population adulte du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme parlaient ou comprenaient le picard.
La littérature picarde
À la prestigieuse littérature médiévale déjà évoquée, ont succédé à partir du XVIIème siècle de nouveaux modes littéraires comme la chanson ou la pasquille. Le Lillois François Cottignies dit Brûle-Maison (1678-1742) fait figure de précurseur d’une lignée de chansonniers.
Une abondante littérature de langue picarde se développe aux XIXème et XXème siècles. Dès les années 1840-1850 apparaissent des écrits politiques : le révolutionnaire Pierre-Louis Pinguet (Gosseu), à St-Quentin, le bonapartiste Clément Paillart à Abbeville (créateur du héros Jacques Croédur), Hector Crinon dans le Vermandois, Henri Carion (dit Jérôme Pleum’coq) à Cambrai. Puis vient le temps des chansonniers et des poètes : Emmanuel Bourgeois à Vers-sur-Selle, le Lillois Alexandre Desrousseaux (auteur du fameux P’tit Quinquin), Jules Watteuw (dit le Broutteux) à Tourcoing. Au fil du XIXème siècle et au début du XXème, les auteurs se multiplient, les genres littéraires aussi. Le nom le plus connu pour la Picardie est celui d’Édouard David, poète sensible du petit peuple amiénois (Chés lazards, Chés hortillonages…). Dans le Nord, phénomène unique en France, les mineurs prennent la plume en picard : Jules Mousseron, de Denain, l’auteur des célèbres histoires de Cafougnette, est le plus connu. À Lille, Simons reste une figure marquante avec ses pièces de théâtre qui lui ont valu le surnom de "Pagnol du Nord."
À partir des années 1960, le picard prend le tournant de la modernité : Pierre Garnier (de Saisseval) est un représentant éminent de la « poésie spatialiste » avec laquelle il marie le picard, tandis qu’en Belgique le grand poète Géo Libbrecht, à l’automne de sa vie, revient au picard tournaisien de sa jeunesse pour créer une œuvre sensible. À Berck, Ivar Ch’Vavar est une figure incontournable de la poésie contemporaine en picard et en français.
En ce début du XXIème siècle, le nombre d’auteurs qui continuent d’écrire en picard surprend. Le Prix de littérature organisé par l’Agence Régionale de la Langue Picarde reçoit chaque année plusieurs dizaines de textes de qualité. De grands éditeurs nationaux ont entrepris de faire traduire en picard des œuvres populaires de la littérature française, notamment des bandes dessinées : Astérix, Tintin, le Petit Nicolas ou le Petit Prince se sont ainsi mis à parler picard.
L’Agence Régionale de la Langue Picarde
Depuis 2009 l’Agence Régionale de la Langue Picarde accompagne la Région dans la promotion de la langue picarde. Elle travaille à améliorer l’image de cette langue dans tous les secteurs, et à développer la présence du picard en milieu scolaire et périscolaire. Elle accompagne les acteurs dans leurs productions et leurs créations, diffuse des fonds écrits, sonores et audiovisuels, assure des formations au picard, soutient l’organisation d’événements fédérateurs en picard comme le Festival ed ches Wèpes.
Le flamand occidental
Le flamand occidental est parlé en France dans la plus grande partie de l’arrondissement de Dunkerque, dans la province belge de Flandre Occidentale et dans une partie de la province de Zélande aux Pays-Bas. Le nombre total de locuteurs est estimé par l’Unesco à un 1,5 million dont quelques dizaines de milliers à des degrés divers en France.
Il est directement issu du germanique westique. Il est le résultat de la fusion de deux courants, l’un bas-francique venu du nord-est et l’autre de l’ouest attribué par les linguistes à l’établissement de Saxons installés sur la côte, en particulier dans le Boulonnais. Une autre théorie, fondée sur les découvertes archéologiques, évoque l’hypothèse d’une lingua franca née des échanges économiques entre les deux rives de la Mer du Nord. Cette seconde influence explique les éléments que le flamand occidental partage avec l’anglais. Dès le Moyen-Âge et à cause de la proximité géographique, des éléments lexicaux et phonologiques picards ont été incorporés. Le flamand occidental a aussi connu ses propres évolutions, en particulier en France.
Sous sa forme écrite, les plus grands auteurs ont vécu principalement à Bruges pendant sa grande période de prospérité économique. On peut citer Jacob van Maerlandt au XIIIème siècle, Cornelis Everaert, Edward De Dene ou Robert Lawet au XVIème siècle. À partir de la fin du XVIème siècle, le centre économique se déplace de Bruges à Anvers ce qui provoque des changements dans la langue écrite. Les caractéristiques flamandes sont rejetées et la langue écrite prend un caractère brabançon. Puis, après la chute d’Anvers en 1585, le centre économique et culturel se déplace à nouveau dans les grandes villes du sud de Hollande. Des évolutions importantes se produisent alors dans l’écrit qui est le reflet de la langue des élites hollandaises. Au cours de ces évolutions, la langue écrite est devenue de plus en plus éloignée du flamand occidental parlé. L’auteur qui aspirait à la notoriété se devait d’écrire dans la forme écrite en vogue à son époque. Les chambres de rhétorique seront des centres de diffusion de ces différentes variétés de langue écrite auprès des élites.
Il faudra attendre le XIXème siècle pour revoir des textes littéraires en flamand occidental, en France chez Pétilion et en Belgique chez Omer K. De Laey ou chez Guido Gezelle avec une forme très particulière de langue écrite mélangeant les éléments contemporains et d’autres tombés en désuétude dans une tentative de recherche puriste. En dehors du contexte littéraire, l’homme de la rue qui en était capable écrivait une langue hybride mélangeant la langue régionale et des formes écrites en usage à son époque.
À partir du XVIIIème siècle, on constate un début de remise en cause de la norme écrite. Par exemple, en 1791, Bouchette, originaire de Winnezeele et député jacobin de Bergues, critique la distance entre la langue d’un texte officiel probablement écrit par un rhétoricien berguois et la langue parlée par « les campagnards », c’est à dire le flamand occidental : « Son premier essai est bien, et beaucoup mieux que le flamand de votre ordonnance municipale : cela est détestable, et fait pour que vos campagnards s’en moquent. Pourquoi donc ne pas écrire sa langue maternelle comme le peuple la parle ? ». Pendant la Révolution française également, afin de toucher un public plus populaire, des textes de propagande sont imprégnés de flamand occidental.
De nos jours, on publie régulièrement des livres en flamand occidental ou à propos de cette langue en France et en Belgique. Les linguistes publient des articles scientifiques nombreux à son sujet. La chanson en flamand occidental a connu un nouveau départ à partir des années 80 du siècle dernier et récemment elle connaît une popularité renouvelée en Belgique.
L’Institut de la Langue Régionale Flamande / Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele (ANVT)
L’ANVT est une fédération créée en 2004, regroupant aujourd’hui onze associations. Elle a pour objet de sauvegarder et transmettre la langue flamande, de promouvoir son apprentissage dans le cadre scolaire et extrascolaire, d’enrichir les outils pédagogiques. L’Institut contribue notamment au développement de la signalétique bilingue ou en flamand dans les communes, via la signature de la charte "Ja om ‘t Vlamsch – Oui au flamand". Il promeut activement la présence du flamand occidental dans les écoles. Son centre de ressources documentaires est ouvert au public à Steenvoorde.
L’Office public de la langue et de la culture flamandes occidentales
La Région a décidé de s’associer à la création de l’Office public de la langue et de la culture flamandes occidentales, qui sera le cinquième Office public de langue régionale (après le basque, le breton, le catalan et l’occitan). Une association de préfiguration, en instance de création, regroupera dans un premier temps la Région, les établissements publics de coopération intercommunale du territoire, et l’Institut de la Langue Régionale Flamande.