Contenu principal de la page
Article publié le 14/10/2022
Mis à jour le 15/10/2022

Bourgeois de Calais : de l’histoire de France à l’histoire de l’art

Offert aux yeux du public devant l’hôtel de ville de Calais, ce chef d’œuvre d’Auguste Rodin inspiré d’un épisode de la guerre de 100 ans incarne en Hauts-de-France le génie et la quête esthétique du sculpteur Français dans le monde entier.

Ils sont six. Pieds nus, une corde au cou, ils se tiennent debout avec dans leurs mains les clés de la ville et du château. Sur leur visage et dans leur attitude, on peut lire l’expression de ceux qui savent qu’ils vont mourir. Les Bourgeois de Calais sont, avec le Penseur, l’œuvre la plus célèbre du sculpteur Auguste Rodin. Elle est également l’une des plus importantes de l’histoire de l’art, marquant la conception révolutionnaire inventée par Rodin d’une sculpture "vivante" et en mouvement, invitant le spectateur à tourner autour de l’œuvre pour en ressentir chaque nuance et non plus à l’envisager sous un angle unique et figé.

 Les "visions" de Rodin

En répondant à la commande passée en 1885 par Omer Dewavrin, alors maire de Calais, pour réaliser un monument commémorant la reddition de la ville pendant la guerre de cent ans après onze mois de siège Anglais, Rodin s’est dit lui-même totalement fasciné par cet épisode de notre histoire. Avant de se mettre au travail, il a commencé en effet par se plonger dans la lecture des Chroniques de France de l’historien Jean Froissart qui relate dans le détail cet épisode. Rodin ressort littéralement habité par cette lecture, dans laquelle il aura la vision d’une œuvre concentrant, dans un même dessein, l’idée du courage, du sacrifice, du martyr et de la condition humaine face à la mort annoncée.

L’histoire de Calais connue dans le monde entier

L’Histoire est connue. A Calais bien sûr et, probablement grâce à la statue de Rodin, dans le monde entier. Nous sommes à la fin des années 1330, au cœur d’un terrible conflit de succession pour la couronne de France entre le roi français Philippe VI de Valois, et son cousin le roi anglais Édouard III, qui de son côté la revendique pour lui-même. Les deux hommes se mènent alors une guerre totale, en particulier dans le Nord de la France. Victorieux lors de la bataille de Crécy en 1340 sur les armées françaises, Édouard III souhaite en effet pousser son avantage militaire jusqu’à Calais. Mais face à la résistance héroïque des Calaisiens, il choisit la méthode du siège pour faire tomber la ville. Fort du contrôle total qu’il a sur la mer, il coupe radicalement les vivres et le ravitaillement des habitants à la fin de l’été 1346. De son côté, Philippe VI de Valois, le Français, ne parvient pas à réunir une armée suffisamment forte pour délivrer Calais dont la garnison continue de résister seule face aux anglais.

Onze mois de siège

Le siège de la ville durera 11 mois. A Calais, les morts de faim et les malades se comptent alors par milliers. En proie au désespoir les Calaisiens n’ont alors pas d’autre choix que d’accepter leur reddition. Mais Édouard III y met un prix: six bourgeois de la ville doivent lui être livrés pour être exécutés. En contrepartie, il s’engage à laisser la vie sauve aux habitants, à condition toutefois que ces derniers quittent la ville sans délais lorsque les anglais viendront s’y installer pour en prendre possession. Six bourgeois, six martyrs, se portent volontaires :  Eustache de Saint-Pierre, Jean d'Aire, Pierre de Wissant et son frère Jacques, Andrieus d'Andres et Jacques de Fiennes.

Corde au cou, pied nus, dans un cortège macabre organisé par le roi vainqueur, ces six hommes font ainsi face à la mort, chacun à sa façon : l’un la regardant en face comme un défi, un autre se tenant la tête entre les mains, un autre encore cherchant nulle part un regard… Cette scène terrible et intense décrite par le chroniqueur médiéval Jean Froissart fait alors fondre en larme l’épouse d’Édouard III, qui y assiste, et qui supplie son mari d’épargner la vie des six bourgeois sacrifiés. Le roi accède à sa demande et, au nom de la miséricorde chrétienne, épargne la vie des six hommes. Il prend alors possession de la ville qui devient officiellement anglaise le 3 août 1347 jusqu’au mois de janvier 1558 où elle sera reprise à la Reine Marie Tudor par le roi français Henri II.

La tragédie, la vie et la mort dans le bronze pour l'éternité

Si ce récit, comme il l’a dit lui-même, a tant fasciné Rodin, c’est probablement qu’il pouvait lui permettre de réaliser son idéal artistique, à savoir concentrer et fixer pour l’éternité dans le bronze toute la palette, dans un même mouvement, des expressions humaines face à l’idée de la mort tout en l’inscrivant dans une dramaturgie. De fait, c’est ce qui frappe immédiatement les visiteurs qui, sur la place de l’Hôtel de ville de Calais, se pressent pour admirer ce grand chef d’œuvre : l’impression que les personnages sont vivants et que l’histoire est en train de s’écrire.

Si le premier bronze original est bien sûr celui de Calais, depuis 1895, il existe 12 autres fontes exposées aujourd’hui dans le monde : au musée Royal de Belgique, à Copenhague, à Londres dans les jardins de la tour Victoria, au Musée Rodin de Paris et de Philadelphie, au Metropolitan Museum de New York, à Bâle en Suisse, au Musée national de l’art occidental de Tokyo et, depuis 1995, à Séoul à la fondation Samsung.