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Article publié le 23/02/2022
Mis à jour le 28/02/2022

Amiens et le textile : dix siècles d’histoire

De l'édification de la Cathédrale à l'invention du métier à tisser moderne utilisé aujourd'hui dans le monde entier, l'activité textile, riche de dix siècles d'histoire, fait partie de la mémoire vivante de la capitale picarde.

Donnant dans la "rue au lin ", surplombée par le Beffroi, la "Place au fil " témoigne de cette époque où les fileuses des villages alentours venaient ici, trois fois par semaine, vendre leur fil pour alimenter les métiers à tisser de la ville.  Au cœur du 18e siècle, Amiens en dénombrait en effet pas moins de 6000. Rares sont alors les familles amiénoises ou picardes qui ne comptent pas au moins un de leur membre comme employé dans l’activité textile.

Juste avant la Révolution, Amiens est alors en Europe un des plus grands centres de production textile, essentiellement du drap de laine. Pour bien comprendre l’importance de cette activité dans la capitale picarde, il faut remonter plusieurs siècles en arrière, plus exactement au Moyen âge.

En l’an 1100, la vallée de la Nièvre, proche d'Amiens,  est en effet couverte de champs de Guède (Waide en Picard), plante qui possède la propriété d’être alors la seule à pouvoir produire de la teinture bleue pour les tissus. Produit rare et cher,  il reste limité à des usages prestigieux, pour la grande noblesse en particulier.

La vie en bleu

Il faut attendre la moitié du XIIe siècle pour que son commerce connaisse une nouvelle dimension. C’est à cette époque en effet que la symbolique des couleurs dans la société évolue. Autrefois représentée en blanc, la Vierge apparait de plus en plus revêtue d’un manteau…bleu. Dans le même temps, le très catholique et très pieux roi Louis XI décrète le bleu comme "couleur officielle" et emblème du Royaume de France. Dès lors, le bleu s’arrache…

Fort de plusieurs longueurs d’avance dans ce commerce, Amiens s’enrichit très vite et se diversifie, outre la production de Waide, vers la teinture. Avec de faibles courant et une belle pureté, les eaux de la Somme sont idéales pour favoriser la fixation de la couleur sur les étoffes. Grâce à cette prospérité et à la grande vague du "bleu" déferlant sur toute l’Europe, les négociants et teinturiers financeront d’ailleurs l’édification de la Cathédrale d’Amiens, la plus grande et dit-on, la plus belle de France. Témoins de cette reconnaissance, des fleurs de Waide ornent toujours la façade de la cathédrale.

De la production de pigment bleu à la teinture, il ne restait plus qu’à passer à la production de tissus pour maîtriser l’ensemble de la chaine. L’introduction des premiers métiers à tisser se fait ainsi dès la fin du XIIe siècle, grâce à la prospérité acquise dans la teinture. Amiens s’impose alors comme un très important centre drapier et exporte ses tissus dans toute l’Europe, en particulier vers l’Italie.

De la teinture au tissage

La laine est produite sur place, mais également importée d’Angleterre pour répondre aux besoins d’une qualité différente. La laine anglaise est en effet mieux traitée, et d'aspect moins jaune.  Au XVIe siècle, la production se diversifie. Grâce au savoir-faire d’ouvriers flamands qui arrivent à Amiens, la production s'étend à d'autres tissus des tissus comme le satin ou la soie. On dénombre alors à Amiens plus de 600 fabricants de tissus et 2 000 métiers à tisser.

De fait, c’est toujours par l’innovation que le textile se développera dans la capitale picarde. Un grand tournant se produit ainsi avec l’arrivée en France et en Italie d’un nouveau tissu soyeux et résistant pour l’ameublement : le velours. Fabriqué à partir de lin et de mohair, Il apparait dès le 17e siècle, mais sa production connaîtra un essor sans précédent à Amiens grâce à l'atelier crée par Alexandre Bonvallet en 1756.  C’est lui qui inventera un procédé révolutionnaire d’impression d'étoffes fleuries, dites "indiennes",  sur cylindre. Cette innovation lui permet alors de concurrencer les velours italiens de Gênes qui dominent le marché. Napoléon 1er en personne viendra visiter cette manufacture, devenue "royale",  fleuron du textile français.

Un moteur : l'innovation

Spécialité amiénoise, le velours connaîtra un nouvel essor avec l’arrivée en 1794 de l’entreprise Cosserat, Installée à l’origine sur le site d’un modeste tissage de laine non loin de la Somme à l ’ouest de la ville, l’usine accueille à son apogée 500 métiers à tisser pour la fabrication du velours et emploie jusqu’à 1 000 personnes. Elle poursuivra son activité jusque dans les années 1970, durant lesquelles, sous l’effet de la concurrence étrangère, l’activité décline. Avec son architecture art déco, l’usine Cosserat est aujourd’hui un des bâtiments les plus remarquables du patrimoine architectural amiénois.

Un Amienois révolutionne l'industrie textile

Autre innovation majeure née à Amiens, au XXe siècle cette fois : l’invention du métier à tisser qui a révolutionné l’industrie textile dans le monde entier et qui équipe encore aujourd’hui 80 % des ateliers et usines de la planète. Il s’agit du système Dewas, du nom de son inventeur Raymond Dewas en 1937. Cet industriel, qui fut aussi conseiller municipal d’Amiens pendant plusieurs décennies a en effet mis au point un système permettant de supprimer la "navette" et de distribuer directement le fil à l’intérieur du tissu avec des bobines. Ce procédé révolutionnaire évite ainsi de devoir arrêter le métier à tisser, permettant ainsi de produire en continu et de réaliser d’importants gains de productivité.

Si le prestige textile reste indéfectiblement lié à la mémoire amiénoise et picarde, le temps est malheureusement révolu où ce secteur employait plus de 100 000 salariés à Amiens et dans les communes voisines. On estime aujourd’hui à un peu moins de 6 000 le nombre personnes vivant directement de cette activité dans la Somme, l’Aisne et l’Oise. Il n’en demeure pas moins que, à l’image du département du Nord et de Roubaix, l’histoire de l’industrie textile amiénoise fait partie de l’âme, de la mémoire ouvrière et du patrimoine culturel immatériel de notre région Hauts-de-France.